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Photo du rédacteurLaurent Puech

Idée fausse : "Toute violence au sein du couple est de la violence conjugale…"

Dernière mise à jour : 11 avr. 2019


[Ce post est un extrait de mon article Violence conjugale : des idées reçues qui parasitent le positionnement professionnel, paru dans la Revue Française de Service Social, n°239, 4ème trimestre 2010. Il reste d'actualité en 2019. Les liens ont été mis à jour. Retrouvez en fin du post les liens vers les autres extraits de cet article ]


Le récit d’une situation de violence conjugale est parfois déstabilisant pour le professionnel qui reçoit la victime. Le caractère inattendu de telles révélations lorsque nous n’avions rien vu auparavant, ou encore l’impact du récit qui nous est fait, de la souffrance qui est exprimée peuvent nous impacter et nous perturber. Lorsque nous nous retrouvons dans ce genre de situations, il s’avère donc essentiel de nous appuyer sur des fondamentaux. Une évaluation fine passe par la maîtrise de savoirs solides sur la question. Or, la question des violences conjugales est souvent abordée à partir de nombreuses approximations et confusions, voire dans la dramatisation. Dans ces conditions, l’émotion risque de prendre le pas sur la raison, et l’impact sur les pratiques des professionnels risque de jouer au détriment de l’accompagnement de la personne ou famille, voire contre son intérêt. Ces risques de dérives trouvent parfois leur source dans les nombreuses idées reçues sur la question. Certaines sont régulièrement contredîtes comme par exemple l’idée qu’il n’y aurait pas de viol entre époux [1] ou qu’une « agression passionnelle » est moins punie qu’une autre agression[2]. Je propose ci-après d’en revisiter quelques-unes régulièrement entendues dans les services. Elles semblent moins souvent contestées, voire apparaissent comme incontestables. Et pourtant…


Idée reçue n°1 : Toute violence au sein du couple est de la violence conjugale… ou la méconnaissance de la nature


L’utilisation du terme « violence conjugale » est fréquente. Cependant, mettons-nous les mêmes actes et situations derrière ces termes ? La question de la définition de référence que nous adoptons est essentielle. Elle va permettre une meilleure identification, compréhension et analyse de la situation, une meilleure articulation entre les professionnels s’ils sont plusieurs, et améliorer l’intervention. Il convient donc de distinguer le conflit conjugal de la violence conjugale. Dans l’un comme dans l’autre, on peut trouver des actes similaires jusqu’à des degrés élevés de violence. Ce qui les différencie, c’est la nature de la relation entre les deux partenaires. La définition proposée par le rapport Henrion[3] constitue un repère important : les violences conjugales « ont pour facteur commun un processus évolutif au cours duquel un partenaire exerce, dans le cadre d’une relation privilégiée, une domination qui s’exprime par des agressions physiques, psychiques ou sexuelles. Elles se distinguent des conflits de couples en difficulté.».


C’est donc bien le processus évolutif de domination au sein du couple, qui s’exprime par des actes. Dans le cas d’un conflit conjugal, il peut y avoir des agressions de degrés et d’expressions divers, la nature de la relation des deux membres du couple est pourtant de nature différente.


Conflit conjugal : Relation d’égal à égal (sujet à sujet), désaccord ou conflit ponctuel, chacun peut faire valoir son avis et ne souhaite pas soumettre l’autre à son emprise.


Violence conjugale : Relation inégalitaire (sujet à objet), objectif de soumission de l’autre à son désir via une relation d’emprise.


Il peut donc y avoir une situation de violence au sein du couple, avec une grande souffrance pour l’un de ses membres, sans que pour autant il s’agisse d’une situation de violence conjugale. Lorsque nous rencontrons une personne qui fait le récit de ce qu’elle a vécue, nous avons besoin de recueillir des données d’analyses pertinentes, qui vont au-delà du récit restreint à un seul événement. Cela permettra de distinguer s’il s’agit d’un conflit conjugal ou de violence conjugale. Dans le premier cas, une situation de médiation peut apparaître comme pertinente. Dans le second cas, la médiation peut constituer une réponse inadaptée : difficile d’être en situation d’égalité quand elle est insupportable pour l’un et que l’inégalité marque la relation. Et quel impact sur la personne victime de violence conjugale à qui on renverrait ainsi que ce n’est qu’un « simple » conflit de couple ? De façon générale, notre positionnement et nos actes vont donc être influencés par la question de la classification. D’où l’importance de bien mesurer ce qui est à l’œuvre.


Il est vrai que le terme « violence conjugale » lui-même prête à la confusion puisqu’il cerne un groupe d’actes (violences) dans une forme de lien (conjugal). Une typologie différente est d’ailleurs proposée en 1995 par Michael P. Johnson, qui distingue les violences situationnelles[4] (proches de ce que nous appelons ici conflit conjugal) du terrorisme conjugal[5] (proche de la définition de la violence conjugale donnée par le rapport Henrion). Ces deux termes distinguent à mon sens plus clairement deux situations par nature différentes mais pouvant s'avérer destructrices. Je pense qu’elle pourrait constituer en France, pour les professionnels, une catégorisation plus utile que l’appellation de violence conjugale.



[1] L’article L222-23 du nouveau code pénal stipule que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. » Cela concerne toutes les personnes, sans distinction de situation au regard du type de relation qui existe entre elles : concubinage, pacs, mariage.


[2] C’est exactement le contraire. La Loi n° 92.683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code Pénal mentionnait déjà que la qualité de conjoint de la victime constitue une circonstance aggravante de l'infraction commise. La Loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, l’a étendu aux concubins, "pacsés" et anciens conjoints.


[3] Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé. Rapport au Ministre chargé de la Santé réalisé par un groupe d'experts réuni sous la présidence de Monsieur le Professeur Roger HENRION - Février 2001. Disponible sur le site https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/014000292/index.shtml


[4] « Ce type de violence conjugale survient à l’occasion d’un conflit ou d’un différend ponctuel qui peut dégénérer en violence. Il se produit sous la forme d’un incident isolé ou d’événements sporadiques. Il risque peu de conduire à une escalade de la violence dans le temps ou de prendre la forme de la violence grave, et cette violence a de fortes possibilités d’être mutuelle » Voir le travail de Denis Laroche « Prévalence et conséquences de la violence conjugale envers les hommes et les femmes ». Présentation au congrès international Paroles d’hommes, Montréal, 23 avril 2005, page 19. Accessible sur :


[5] « Dans un tel cas, le recours à la violence découle d’un désir ou d’une compulsion d’exercer un contrôle général du partenaire. L’usage de la violence physique est un élément parmi d’autres dans une panoplie de tactiques employées dans un pattern général de contrôle » Idem.




Retrouvez (BIENTOT) les 6 posts extraits de mon article Violence conjugale : des idées reçues qui parasitent le positionnement professionnel, paru dans la Revue Française de Service Social, n°239, 4ème trimestre 2010 :


Idée fausse 1 : "Toute violence au sein du couple est de la violence conjugale…"


Idée fausse 2 : "Violence conjugale égale violence faite par des hommes…"



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