Idée fausse : "La violence conjugale empire avec le temps… ou les limites du schéma-type"
- Laurent Puech
- 15 déc. 2019
- 4 min de lecture
[Ce post est un extrait de mon article Violence conjugale : des idées reçues qui parasitent le positionnement professionnel, paru dans la Revue Française de Service Social, n°239, 4ème trimestre 2010. Il reste d'actualité en 2019. J'ai procédé à quelques réactualisations de sa rédaction. Retrouvez en fin du post les liens vers les autres extraits de cet article]
Idée n°4 : La violence conjugale empire avec le temps… ou les limites du schéma-type
Lors d’une réunion, une collègue m’indiquait que lorsqu’elle recevait une femme l’informant qu’elle avait été victime d’une agression par son conjoint, elle lui conseillait systématiquement de partir car cela ne pouvait que progresser jusqu’au drame. Je comprends cette collègue. Il est souvent fait référence au « cycle de la violence » pour sensibiliser à la question des violences conjugales. On trouve ce cycle présenté de manières diverses selon les sources. Voici les 4 phases présentées par SOS Femmes sur son site internet [1] :
La phase d’escalade des tensions correspond à une période durant laquelle les agressions psychologiques puis verbales apparaissent. Elle précède souvent la phase d’explosion de la violence physique après laquelle la victime peut être terrorisée et en état de choc. Vient ensuite la phase de rémission, où le partenaire cherche à se faire pardonner, puis celle de la « lune de miel » où la victime redécouvre un partenaire calme et prévenant. Puis revient la phase d’escalade des tensions…
SOS Femmes nous prévient : « La violence conjugale se développe à travers des cycles dont l'intensité et la fréquence augmentent avec le temps. » Le caractère affirmatif de cette phrase ne laisse pas le choix. Inexorablement, dans tous les cas, le cycle recommence et la situation se dégrade. C’est pourtant en grande partie inexact ! Cette situation existe bel et bien, mais elle n’est pas la seule évolution possible. De nombreuses autres existent. Ainsi, dans certains cas, il ne se produira aucun acte d’agression physique, mais uniquement de la violence psychologique. Dans d’autres, une agression physique va intervenir alors que rien ne le laisse présager. Le caractère imprévisible crée ainsi une tension et crainte permanente. Dans d’autres situations encore, il y a eu une fois une agression physique. Son souvenir est tel que l’auteur n’a plus à passer à l’acte, la victime usant de stratégies diverses pour ne plus subir cette violence mais vivant dans une situation de terreur chronique. Et d’autres situations encore existent. Il n’y a pas de schéma unique mais quantité de déclinaisons possibles. C'est d'ailleurs ce que précise la page de SOS Femmes : "Cette description des cycles de la violence a été réalisée à partir d'études : elle est nécessairement générale et votre situation personnelle peut vous paraître différente." Néanmoins, la dynamique de la violence et son accentuation/aggravation ne sont pas remises en cause.
Cependant, ce cycle est utile pour le professionnel qui en connaît les limites. Il permet rapidement de repérer si nous sommes dans ce cas de figure à 4 phases ou si nous sommes dans une forme autre. Si nous sommes dans ce cycle, il constitue un support donnant une « grille de lecture » à la victime, voire à l’auteur. Cela peut aider à prendre conscience, à mesurer la répétition, à évaluer s’il y a progression (raccourcissement ou allongement du délai entre deux explosions de violences, acte unique ou répétition)…
Il convient d'avoir aussi en tête des données critiques de cette description en cycle s'amplifiant irrémédiablement dans le temps.
Cet outil, qui apparaît comme simplement descriptif et donc objectif, propose une lecture intéressante mais parfois simplificatrice. Sa vulgarisation sans réserve a entrainé un biais important : à partir du moment où le descriptif fait par la personne ressemble à une ou plusieurs des phases, il est facile de penser que l'on a compris la situation. Ce contexte est favorable à un enchaînement du type : violence conjugale, donc emprise, donc victime qu'il faut séparer de l'auteur en la convaincant de l'évolution dramatique comme inscrite dans son futur. Si les pratiques qui en découlent sont multiples (tentative de convaincre, usage de la peur voire de la menace, compassion ou substitution, etc.), elles semblent trop souvent avoir un même objectif : la séparation avant que le drame absolue survienne, car le cycle de la violence prédit le pire, toujours, forcément, faussement. Et pour éviter cette issue, certain.e.s peuvent se montrer brut.ales.aux envers la personne qui a besoin de soutien... Après tout, lorsque l'on pense faire le bien de la personne, voire la sauver, on peut utiliser la brutalité à son encontre, non ? Ben, non, justement. Non.
[1] http://www.sosfemmes.com/violences/violences_cycles.htm. Ce site des informations utiles pour le professionnel. Il apparaît que les auteures du site ont fait le choix de pages courtes, obligeant à des simplifications, ce qui est d'ailleurs indiqué en avertissement. La sensibilisation y gagne, la rigueur peut y perdre.
Retrouvez les autres posts extraits de mon article Violence conjugale : des idées reçues qui parasitent le positionnement professionnel, paru dans la Revue Française de Service Social, n°239, 4ème trimestre 2010 :
Idée fausse 1 : "Toute violence au sein du couple est de la violence conjugale…"
Idée fausse 2 : "Violence conjugale égale violence faite aux femmes…"
Idée fausse 3 : « 10% des femmes sont battues »
Idée fausse 4 : "La violence conjugale empire avec le temps… ou les limites du schéma-type"
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