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Photo du rédacteurLaurent Puech

Le droit de l'enfant à vivre en famille est-il un droit ? Article 9 de la CIDE et hébergement



La Convention Internationale des Droits de l'Enfant constitue un texte référence du fait de la place qu'occupe la notion d'intérêt de l'enfant, notion aux contours flous, servant de pierre angulaire dans la politique publique de protection de l'enfance.


Dans nos institutions, particulièrement dans les conseils généraux (devenus départementaux) dont le président est en charge de la mission d'aide sociale à l'enfance, tout est fait au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, pour le protéger, pour son bien, et dans le respect aussi de la CIDE. Certes, il peut manquer de moyens et nulle institution n'est parfaite, ce dont chacun convient. Mais une idée traverse les établissements et services : nous tentons de faire au mieux pour l'enfant.

C'est du moins le discours officiel que l'on retrouve dans la communication de nos institutions. Cependant, parfois, derrière l'affichage et la belle vitrine, ce que l'on trouve « dans la boutique » apparaît très éloigné, voire en contradiction avec la présentation que porte le discours énoncé.


En 2013, le Collectif Les morts de la rue (1) a recensé 453 décès de personnes « à la rue » dont 15 enfants de moins de 15 ans. Pour ces enfants, la moyenne d'âge s'établit à 4 ans. Le collectif note que « Ces décès reflètent deux phénomènes importants : la dangerosité de la vie en bidonville ou en squat pour des enfants, avec une part importante de décès accidentels, et le défaut de suivi médical des enfants et des mères pendant la grossesse. » Et le Collectif de s'interroger : « Accepte-t-on de voir des enfants en situation de rue en France ? Accepte-t-on le danger de mort qui pèse sur eux ? Une réflexion doit être menée de toute urgence afin d’améliorer leur prise en charge et leur suivi, en lien fort avec leur famille. »


Je ne sais pas si ces enfants et leurs parents étaient passés par un service social avant ces décès, ni s'ils avaient demandé un hébergement à un moment où ils se trouvaient à la rue, sans solution. En l'absence d'éléments précis, il est clairement impossible d'établir même un simple lien entre ces drames et les institutions d'aide aux familles.


Cependant, impossible de ne pas questionner des pratiques fréquentes dans certains lieux. En examinant les réponses produites par les services sociaux départementaux et mises en lumière par l'ANAS (2), je me demande si nous n'oublions pas souvent l'article 9 de la CIDE qui fixe que « Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. ».


Je peux même écrire qu'aujourd'hui, dans de nombreux départements, on ne souhaite pas intégrer ce que signifie cet article de la CIDE, puisque l'on propose de séparer des parents bien-traitants et leurs enfants bien traités. Le cadre légal crée pourtant les conditions pour que, dans le cadre de la mission d'aide sociale à l'enfance, une famille soit aidée matériellement (3). Cependant, une famille à la rue, sans solution alternative, peut se voir refuser une aide permettant le paiement d'une chambre d'hôtel associée à l'offre « généreuse » que les enfants soient accueillis dans le cadre d'une mesure administrative : un accueil provisoire. C'est évidemment bien plus coûteux que le prix d'une chambre d'hôtel pour l'ensemble de la famille, et les parents préfèrent alors dire « on va trouver une solution ».


Certains peuvent imaginer que c'est une proposition pour le bien de tous et des enfants surtout. Le programme officiel ("nous sommes là pour l'intérêt supérieur de l'enfant") peut même y voir l'illustration de sa bienveillance. La part de cynisme contenu dans la « proposition » du conseil général repose dans la maltraitance de la famille contenue dans la proposition ("vous demandez de l'aide pour votre famille, nous allons vous séparer") et qui dans l'immense majorité des cas fait fuir les familles. Il n'est nulle part dit, ni assumable, que c'est l'effet recherché. Mais quand c'est l'effet qui se produit de façon quasi-systématique, nous savons tous que le fait de faire cette « proposition » vise à produire l'effet dont nous avons pu à maintes reprises vérifier l'apparition. Nous pouvons détourner le regard et nous réfugier derrière nos bonnes intentions, ce constat s'impose.


Voilà donc ces familles qui partent vers ailleurs, disparaissant pour un temps des écrans radars institutionnels... Voilà qui fait l'affaire d'une vision bien éloignée de l'intérêt supérieur de l'enfant mais satisfait à un intérêt prioritaire du gestionnaire. Le conseil général n'aura pas de mal à se décharger de sa responsabilité en affirmant que c'est l’État qui devrait prendre en charge ce type d'hébergement. L’État pense lui que c'est aux conseils généraux de la faire. L'intérêt supérieur de l'enfant servira à chacun pour se renvoyer la balle, balle potentiellement dangereuse pour les enfants et leurs parents bien-traitants...


L'affaire pourrait s'arrêter là. Mais elle continue. Car la « proposition » éliminatoire a des effets d'éloignement de la famille, plus rarement de résolution des situations. Quel coût en terme d'usure et de mal être pour les professionnels qui doivent porter ce type de réponse aux familles ? Quant à la famille et les enfants, ils peuvent réapparaître un peu plus tard dans des situations dégradées, potentiellement bien plus coûteuses d'un point de vue financier pour le conseil général. Mais comme aucune étude n'est faîte pour analyser ce type de situation, il n'existe pas d'outil pour en déterminer les coûts. Nous pouvons donc continuer et avancer...


Et puis, si la situation s'est dégradée, une IP ou un signalement sera fait, une évaluation sera produite et une mesure d'aide sera déclenchée. Probablement plus coûteuse et tardive, potentiellement moins efficace. On oublie souvent ce que la précarité d'une situation peut produire comme dégâts dans les relations au sein de la famille...


Les professionnels de premier contact avec les publics, comme leurs encadrements et leurs directions, ainsi que les services de gestion et les élus devraient connaître et se rappeler l'article 9 de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant. Ils contribueraient ainsi à réduire l'écart entre le programme officiel et la pratique réelle, limiteraient les coûts humains pour les personnes accueillies, parents comme enfants, et les professionnels accueillants. Par des actes de soutien aux familles qui sont autant d'actes de prévention, ils renforceraient la baisse des coûts massifs de la protection.


Tout enfant a le droit de ne pas être séparé de ses parents bien-traitants et tout État doit veiller à ce que ses institutions ne proposent pas une telle séparation. Puisque l’État ne le fait manifestement pas, puisque jusqu'ici ni le Défenseur des Droits ni le Défenseur des Enfants n'a encore impulsé la nécessité de traiter vraiment cette question spécifique, il ne reste que le recours à la justice. Mais là encore, le cynisme prévaut : nous trouvons parfois des cadres qui osent dire en off que le coût d'une condamnation pour une poursuite menée contre le Département sera toujours inférieur aux coûts de prises en charge de ces multiples situations dans laquelle nous proposons la séparation plutôt qu'une aide matérielle pour l'hébergement...


Il resterait une solution pour sortir du silence dans lequel se déroulent ces multiples réponses faussement bienveillantes : que tous les parents à qui l'on propose la séparation l'acceptent. Le coût exorbitant apparaîtrait alors, la saturation des MECS et familles d'accueils déjà à la limite souvent, voire au-delà, ferait exploser une système sous-tension... Heureusement, les parents « font » de l'article 9 de la CIDE sans le savoir : ils ne supportent pas l'idée d'une rupture de plus alors que la situation de leur enfant nécessite la présence sécurisante de leurs parents.

3 Par combinaison des articles 221-1, 222-2, 222-3 et 222-5 du code de l'action sociale et des familles.

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